Dès
1505 en effet, c'est à cet endroit que les
autorités locales font livrer la bière
destinée à amadouer les soldats de passage,
en vue de les dissuader de s'en prendre aux propriétés
des agriculteurs sonégiens.
Un document de 1492 est très éclairant
quant à la fonction traditionnelle de cet espace:
"payez pour les despens du diner le jour de la
procession du dit Sougnies parmi ce qui payé
à Tillereaux ou l'on repose le precieux corps
Monseigneur Saint-Vinchien ainsi qu'il est de coustume
".
Le "courtil" du "marais Tilleriaux"
apparaît clairement sur le plan de Soignies
réalisé vers 1550 par Jacques de Deventer,
premier plan représentant la ville et ses abords
immédiats. Il ne se trouve alors aucune construction
dans le périmètre de ce courtil. La
"prairie" s'étend dès ce moment
en bordure immédiate du chemin de Braine, au-delà
des dernières maisons du faubourg du même
nom.
Le panégyrique
Il faut attendre le milieu du 17e siècle pour
voir se préciser, à travers les rares
documents disponibles, un épisode significatif
du Grand Tour, épisode qui reste essentiel
dans le déroulement actuel de la manifestation.
L'image qui se dessine au travers de la relation de
1654 ressemble bien à celle que nous pouvons
découvrir encore en ce début de 21e
siècle.
"Arrivée que la Procession est à
la chapelle de nostre Dame du Tillereau, le Père
Stationnaire y fait une briesve Prédication
à l'honneur du Sainct, et de là l'on
passe oultre
"
Le "marais Tilleriaux" est le lieu du panégyrique.
En une dizaine de minutes, un prêtre généralement
choisi parmi ceux qui sont originaires de Soignies,
expose les grands moments de la vie de saint Vincent
et développe les raisons pour lesquelles il
reste d'actualité. Le panégyrique fait
inévitablement penser à la lecture des
miracles qui se présente au cours de la procession
de la Trinité à Mons.
Le panégyrique est le moment-clé de
la remémoration de saint Vincent, le lieu privilégié
pour une lecture ou une évocation de la "Vita"
telle que nous la conservons dès le 11e siècle.
Il est impossible de savoir pourquoi ce moment-clé
de la procession se déroule en cet endroit
précis. Dans le cadre particulier du Tour Saint--Vincent,
le "marais Tilleriaux" apparaît dès
lors comme l'espace destiné à rassembler,
en dehors des voiries, l'ensemble du groupe des pèlerins,
et cela en vue d'une halte plus ou moins prolongée.
Faut-il y voir une autre possibilité de "terre
à l'danse"? Rien ne permet de l'affirmer.
Quoi qu'il en soit, le "marais" a conservé,
malgré la Révolution et du fait sans
doute de cet épisode annuel, son statut de
"prairie" publique. Aucune des modifications
consécutives à la Révolution
française n'a eu d'effet sur l'existence du
"marais Tilleriaux"
Un vaste sanctuaire naturel
Dans sa structure même, le site du marais Tilleriaux
se trouve tout entier organisé en fonction
de ce qui s'y passe le lundi de la Pentecôte.
D'un certain point de vue, cette organisation est
celle d'un sanctuaire, avec son entrée axiale,
ses piliers (troncs), ses voûtes (feuillages),
ses bas-côtés, son autel, son chur
et même une sorte de déambulatoire.
Naguère encore, la "prairie" était
entourée d'une clôture. Une barrière,
juste dans l'axe de la chapelle, y donnait accès.
Cette barrière est toujours accostée
par deux remarquables cylindres de pierre bleue. Il
ne s'agit pas de colonnes "sculptées"
mais bien de "carottes" découpées
dans la masse (de la carrière) à l'aide
d'une sorte de scie-cloche. Ces carottes furent extraites
des carrières sonégiennes, à
partir de la fin du 19e siècle, pour permettre
l'installation des dispositifs de sciage par fil hélicoïdal.
Le trou ainsi réalisé devait être
assez large pour le passage d'un "technicien".
De là, ces carottes utilisées ici comme
pilastres de clôture.
A l'intérieur du quadrilatère du "marais",
on a planté deux rangées d'arbres décoratifs.
C'est en passant par l'allée ainsi délimitée
(nef centrale) que les porteurs de châsse gagnent
le "parvis" ou "ambon" de la chapelle.
Ils déposent la grande châsse (contenant
le corps) sur le socle en pierre bleue (autel) qui
se trouve juste devant l'édifice. Le prêtre
chargé du panégyrique prend place sur
le socle (qui joue en outre le rôle de "chaire"),
les pieds contre la châsse.
Cette chapelle, la sixième du Tour, pose un
délicat problème de chronologie. On
lit, en effet et sans aucune difficulté, le
millésime 1618 sur la façade. On peut
en outre découvrir sur cette même façade
et déchiffrer l'inscription suivante: "l'an
1618 at estes bastie ceste chapelle par M. Jean Bastien
chanoine de Sougnies et consacrée le dit an
par l'archevesque de Cambray le 21e jour de novembre
1618".
Or, comme le remarque Amé DEMEULDRE, cette
"inscription est en contradiction avec le "Uvre
Enchaîné" (Uber Catenatus) où
l'on peut lire que, par son testament du 4 mai 1624,
Jean Bastien laissa la somme nécessaire à
la construction de cette chapelle, dont l'érection
fut approuvée par l'archevêque de Cambrai,
le fameux François Van der Burch, le 8 décembre
1625".
Rien ne semble permettre de résoudre cette
énigme chronologique.
Un monument remarquable
Quoi qu'il en soit finalement, la chapelle Notre-Dame
au marais Tilleriaux constitue une remarquable manifestation
du style architectural en honneur dans la première
moitié du 17e siècle. Le plan, au demeurant
très simple, évoque immédiatement
celui que nous retrouvons, à Soignies même,
à la chapelle Saint-Roch (actuelle rue de l'Ecole
Moderne) ou dans le cas du nouveau "choeur"
de la chapelle du Vieux-Cimetière. On pourrait
encore évoquer de la même manière
la chapelle du Saint-Nom, édifiée dès
1582 à l'intérieur du cloître
de la collégiale. Sans trop s'éloigner
de Soignies, on peut encore la rapprocher de la chapelle
Notre-Dame du Refuge à Steenkerque (1645) ou
de la petite chapelle de la Saisinne (construite à
l'initiative de l'abbaye de Saint-Denis non loin du
village de Casteau vers 1670). Comme on le voit, les
éléments de comparaison ne manquent
pas.
Du point de vue architectural, l'édifice comporte
une courte nef rectangulaire unique et un chur
de proportions réduites dont le chevet est
à trois pans.
Pour ce qui concerne l'élévation, le
bâtiment présente des allures tout aussi
classiques: le haut soubassement est constitué
de moellons de pierre bleue; les angles sont consolidés
à l'aide de pierres soigneusement équarries;
au-dessus d'un ressaut, toujours en pierre bleue,
s'élèvent des murs de briques; les baies,
de forme ogivale, sont encadrées de pierre
bleue; une frise de briques passe sous la corniche;
la toiture, enfin, est couverte d'ardoise.
La façade est faite pour retenir plus longuement
l'attention.
Sans atteindre le degré de sophistication de
la façade monumentale de la chapelle du couvent
des Dominicains, à l'entrée de la ville
voisine de Braine-le-Comte, elle présente cependant
tous les signes d'une construction plus élaborée.
Un architecte a nécessairement été
requis pour dessiner tout ce répertoire et
tout ce jeu des pierres bleues. Pierre bleue et brique
se mélangent avec une grande fantaisie mais
tout en respectant cependant, ne serait-ce qu'à
travers le principe de symétrie, la plus grande
rigueur.
Nous entrons ici de plain-pied dans le domaine de
l'esthétique baroque. Tout en présentant
relativement peu de relief, la façade de la
chapelle du marais Tilleriaux témoigne d'une
grande liberté dans les tracés. L'ensemble
de la façade évoque davantage des jeux
de lignes limités à un seul plan (deux
dimensions) qu'une réelle prise en compte de
l'espace (à trois dimensions). A ce titre d'ailleurs,
la façade se distingue fondamentalement de
l'édifice sur lequel elle se trouve comme plaquée.
L'exemple d'autres édifices du même type
et de la même époque montre qu'on pouvait
simplifier à l'extrême l'aspect d'une
telle façade. Par comparaison, on peut considérer
que celle-ci se situe à un degré assez
élevé d'élaboration sur l'échelle
de la décoration. La chose est d'autant plus
remarquable que ce bâtiment présente,
en termes de surface utile, une importance plutôt
faible. Il est vrai qu'il s'inscrit dans un contexte
spatial à caractère ecclésial.
Le rez-de-chaussée évoque davantage
l'héritage de la Renaissance que le baroque
proprement dit. Les colonnes qui se trouvent de part
et d'autre de la porte font penser à l'église
du couvent des Dominicains de Braine--le-Comte. Le
fronton bas qui domine cette même porte permet
certains rapprochements avec les éléments
de décoration qui se manifestent à la
façade de l'hôtel de ville de cette même
localité.
Des bandeaux horizontaux de pierre bleue découpent
l'étage. Celui-ci se subdivise en deux niveaux:
le premier, qui fait la transition entre le rez-de--
chaussée et le pignon proprement dit, est celui
qui donne toute son allure de verticalité à
l'édifice.
Ce "rehaussement" (évidemment prévu
dans les plans de départ) se marque également
dans l'élévation des murs gouttereaux.
La décoration de ce premier "étage"
de la façade se compose d'un "oculus"
agrémenté d'un encadrement assez fantaisiste
et de deux ouvertures cintrées et symétriques.
Le deuxième niveau correspond au pignon proprement
dit.
Sa découpe est plus complexe mais n'échappe
pas aux graphismes habituels des concepteurs du temps
: volutes et volutes inversées, croches et
croches inversées, couronnement en forme de
fronton cintré, petits obélisques.
La pierre découpée qui borde le pignon
prend ainsi le relais des pierres disposées
aux angles de la partie inférieure. La décoration
du "panneau" du pignon reprend d'abord une
niche du type de celles que l'on voit au niveau inférieur.
Cette niche contenait, naguère encore, une
représentation de saint Vincent et de ses deux
fils. Elle est surmontée d'un nouvel oculus
en pierre bleue.
On le voit, les formes à la mode en ce début
du 17e siècle s'éloignent assez résolument
de toute la tradition gothique.
Cette volonté de "modernisme" ne
se retrouve pas à l'intérieur de la
chapelle. Le répertoire baroque se cantonne
donc au domaine des décorations de la façade.
C'est la structure gothique qui règne en maître
sous le couvsert du décor baroque. Le style
de l'intérieur de la chapelle est plus sévère
et davantage inspiré tantôt par les traditions
du gothique tantôt par le répertoire
des formes mises à la mode par la Renaissance.
Les boiseries qui décorent l'intérieur
de la chapelle ont malheureusement souffert d'un trop
long manque d'entretien. Elles sont cependant de grande
valeur et on peut les rapprocher de celles qui décorent
le chur de l'église paroissiale Saint-Géry
de Braine-le-Comte. On peut, d'un côté
comme de l'autre, situer la réalisation dans
la première moitié du 17e siècle.
La chapelle du "marais Tilleriaux" a été
restaurée une première fois au début
de ce siècle. Elle était alors entourée
de quelques maisons de caractère modeste. Aujourd'hui,
une nouvelle restauration est envisagée. Une
première phase de consolidation du soubassement
a dû être réalisée d'urgence.
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