Le Marais Tilleriaux, chapelle et panégyrique

Les pèlerins se dirigent ensuite vers le "marais Tilleriaux" en suivant la chaussée de Braine dans la direction du centre de la ville.
L'urbanisation proprement dite ne s'est manifestée dans ce secteur qu'à partir du dernier quart du 19e siècle, ce qui distingue ce "faubourg de Braine" du "Faubourg" (d'Enghien), premier faubourg parcouru en début d'itinéraire. Avant le 19e siècle, le faubourg de Braine ne se composait que de quelques fermes dont l'une, particulièrement bien conservée aujourd'hui, est spécialement remarquable. Il s'agit en effet d'une ancienne maison-barrière.

La maison-barrière

Le bâtiment se trouve sur la gauche, juste avant de déboucher sur le "marais Tilleriaux". La fonction de cet édifice consistait à abriter le service de perception de la taxe que devaient payer tous les utilisateurs de la chaussée (agriculteurs non compris). Puisque la chaussée avait été établie à l'initiative et grâce aux fonds des Etats (de Hainaut), un droit de passage devait être acquitté par les usagers de la nouvelle route. Ce "péage" devait servir d'une part à rembourser les capitaux investis et de l'autre à produire les ressources nécessaires pour l'entretien de la nouvelle voirie.

Un bâtiment du même type (on peut croire qu'on les construisait en série) se dressait encore naguère à l'entrée du village de Casteau (pour qui venait de Mons).
En guise de trace de son ancienne fonction, la maison-barrière du faubourg de Braine conserve au-dessus de sa porte, sculptées dans la pierre, les armoiries comtales du Hainaut.
A hauteur de la maison-barrière et de part et d'autre de la chaussée, on put voir jusqu'à la fin du siècle dernier des bornes en pierre bleue ornées d'une part des mêmes armoiries et de l'autre du nombre "60" (en chiffres arabes). Il semble que ce chiffre indiquait le nombre de "bornes" (lieues) à parcourir jusque Paris.
Les deux bornes (qui faisaient peut-être partie du dispositif proprement dit de la barrière) sont aujourd'hui plantées devant la porte du musée du Vieux-Cimetière.

Le nouveau cimetière

Le nouveau cimetière et le "marais Tilleriaux" se font face. C'est en 1890 que le nouveau cimetière communal a été installé sur ce site, dans le faubourg le plus paisible de la ville (pour l'époque). C'est évidemment à cette même date que l'on mit fin aux inhumations dans l'ancien cimetière d'origine médiévale. Ce dernier, dont il subsiste d'importantes traces artistiques et archéologique, était situé dans l'intra-muros, à moins de 150 mètres de la collégiale et du centre névralgique de la cité.

Marais et chapelle de Tilleriaux

Le pèlerin fait une halte prolongée au "marais Tilleriaux".

Le toponyme "tilleriaux" est attesté dès le 14e siècle et semble avoir pour origine un lieu "planté de tilleuls". Il s'agit, aujourd'hui comme autrefois. d'un terrain au statut très particulier, une sorte de "no man's land" qui, selon toute apparence, ne fut jamais cultivé (sinon, peut-être, comme verger).
Au 19e siècle, cette "prairie" servait de terrain de récréation pour les élèves des écoles de la ville et il semble s'agir en l'occurrence de la perpétuation d'un usage très ancien
  
Plan intéractif
Introduction
Le Tour commence au faubourg d'Enghien
Le monnument des reliques et la descente de la chasse
Au moment de quitter la collégiale
De la Grand-Place à la Senne
Le pont batteresse
Ancienne porte d'Enghien
Le Faubourg
La cense del Baille
Première chapelle et point de départ du Tour
Autour de la "Maladrée"
Biamont
La guélenne
Le chemin Saint-Landry
La chapelle du Bon Dieu de Gembloux à la chaussée de Braine
Le Marais Tilleriaux, chapelle et panégyrique
Sentier Cuvelotte
La vallée de la Caffenière
La chapelle Neunez
La chapelle de "Jésus garotté"
Chapelle Pipi Botte
Chapelle du Perlonjour
Les saudarts del Pint'coût'
Soignies-Carrières
La paroisse de l'Immaculée-Conception
Chapelle de l'école primaire des Soeurs Franciscaines
Carrefour du Trente Juillet
Dans le secteur de la chapelle Bergeret
La chapelle Bottemanne
Le château Wincqz
Les Trois Planches
Chapelle des Carmes
Le secteur le plus bouleversé de l'itinéraire du Grand Tour
Le Nouveau Monde
Moulin et chemin de Neufvilles
Chapelle André
Chapelle Ferbus
Retour au Faubourg
   
Dès 1505 en effet, c'est à cet endroit que les autorités locales font livrer la bière destinée à amadouer les soldats de passage, en vue de les dissuader de s'en prendre aux propriétés des agriculteurs sonégiens.
Un document de 1492 est très éclairant quant à la fonction traditionnelle de cet espace: "payez pour les despens du diner le jour de la procession du dit Sougnies parmi ce qui payé à Tillereaux ou l'on repose le precieux corps Monseigneur Saint-Vinchien ainsi qu'il est de coustume …".
Le "courtil" du "marais Tilleriaux" apparaît clairement sur le plan de Soignies réalisé vers 1550 par Jacques de Deventer, premier plan représentant la ville et ses abords immédiats. Il ne se trouve alors aucune construction dans le périmètre de ce courtil. La "prairie" s'étend dès ce moment en bordure immédiate du chemin de Braine, au-delà des dernières maisons du faubourg du même nom.

Le panégyrique

Il faut attendre le milieu du 17e siècle pour voir se préciser, à travers les rares documents disponibles, un épisode significatif du Grand Tour, épisode qui reste essentiel dans le déroulement actuel de la manifestation. L'image qui se dessine au travers de la relation de 1654 ressemble bien à celle que nous pouvons découvrir encore en ce début de 21e siècle.
"Arrivée que la Procession est à la chapelle de nostre Dame du Tillereau, le Père Stationnaire y fait une briesve Prédication à l'honneur du Sainct, et de là l'on passe oultre …"
Le "marais Tilleriaux" est le lieu du panégyrique. En une dizaine de minutes, un prêtre généralement choisi parmi ceux qui sont originaires de Soignies, expose les grands moments de la vie de saint Vincent et développe les raisons pour lesquelles il reste d'actualité. Le panégyrique fait inévitablement penser à la lecture des miracles qui se présente au cours de la procession de la Trinité à Mons.
Le panégyrique est le moment-clé de la remémoration de saint Vincent, le lieu privilégié pour une lecture ou une évocation de la "Vita" telle que nous la conservons dès le 11e siècle.
Il est impossible de savoir pourquoi ce moment-clé de la procession se déroule en cet endroit précis. Dans le cadre particulier du Tour Saint--Vincent, le "marais Tilleriaux" apparaît dès lors comme l'espace destiné à rassembler, en dehors des voiries, l'ensemble du groupe des pèlerins, et cela en vue d'une halte plus ou moins prolongée. Faut-il y voir une autre possibilité de "terre à l'danse"? Rien ne permet de l'affirmer.
Quoi qu'il en soit, le "marais" a conservé, malgré la Révolution et du fait sans doute de cet épisode annuel, son statut de "prairie" publique. Aucune des modifications consécutives à la Révolution française n'a eu d'effet sur l'existence du "marais Tilleriaux"

Un vaste sanctuaire naturel

Dans sa structure même, le site du marais Tilleriaux se trouve tout entier organisé en fonction de ce qui s'y passe le lundi de la Pentecôte. D'un certain point de vue, cette organisation est celle d'un sanctuaire, avec son entrée axiale, ses piliers (troncs), ses voûtes (feuillages), ses bas-côtés, son autel, son chœur et même une sorte de déambulatoire.
Naguère encore, la "prairie" était entourée d'une clôture. Une barrière, juste dans l'axe de la chapelle, y donnait accès. Cette barrière est toujours accostée par deux remarquables cylindres de pierre bleue. Il ne s'agit pas de colonnes "sculptées" mais bien de "carottes" découpées dans la masse (de la carrière) à l'aide d'une sorte de scie-cloche. Ces carottes furent extraites des carrières sonégiennes, à partir de la fin du 19e siècle, pour permettre l'installation des dispositifs de sciage par fil hélicoïdal. Le trou ainsi réalisé devait être assez large pour le passage d'un "technicien". De là, ces carottes utilisées ici comme pilastres de clôture.

A l'intérieur du quadrilatère du "marais", on a planté deux rangées d'arbres décoratifs. C'est en passant par l'allée ainsi délimitée (nef centrale) que les porteurs de châsse gagnent le "parvis" ou "ambon" de la chapelle. Ils déposent la grande châsse (contenant le corps) sur le socle en pierre bleue (autel) qui se trouve juste devant l'édifice. Le prêtre chargé du panégyrique prend place sur le socle (qui joue en outre le rôle de "chaire"), les pieds contre la châsse.

Cette chapelle, la sixième du Tour, pose un délicat problème de chronologie. On lit, en effet et sans aucune difficulté, le millésime 1618 sur la façade. On peut en outre découvrir sur cette même façade et déchiffrer l'inscription suivante: "l'an 1618 at estes bastie ceste chapelle par M. Jean Bastien chanoine de Sougnies et consacrée le dit an par l'archevesque de Cambray le 21e jour de novembre 1618".
Or, comme le remarque Amé DEMEULDRE, cette "inscription est en contradiction avec le "Uvre Enchaîné" (Uber Catenatus) où l'on peut lire que, par son testament du 4 mai 1624, Jean Bastien laissa la somme nécessaire à la construction de cette chapelle, dont l'érection fut approuvée par l'archevêque de Cambrai, le fameux François Van der Burch, le 8 décembre 1625".
Rien ne semble permettre de résoudre cette énigme chronologique.

Un monument remarquable

Quoi qu'il en soit finalement, la chapelle Notre-Dame au marais Tilleriaux constitue une remarquable manifestation du style architectural en honneur dans la première moitié du 17e siècle. Le plan, au demeurant très simple, évoque immédiatement celui que nous retrouvons, à Soignies même, à la chapelle Saint-Roch (actuelle rue de l'Ecole Moderne) ou dans le cas du nouveau "choeur" de la chapelle du Vieux-Cimetière. On pourrait encore évoquer de la même manière la chapelle du Saint-Nom, édifiée dès 1582 à l'intérieur du cloître de la collégiale. Sans trop s'éloigner de Soignies, on peut encore la rapprocher de la chapelle Notre-Dame du Refuge à Steenkerque (1645) ou de la petite chapelle de la Saisinne (construite à l'initiative de l'abbaye de Saint-Denis non loin du village de Casteau vers 1670). Comme on le voit, les éléments de comparaison ne manquent pas.

Du point de vue architectural, l'édifice comporte une courte nef rectangulaire unique et un chœur de proportions réduites dont le chevet est à trois pans.
Pour ce qui concerne l'élévation, le bâtiment présente des allures tout aussi classiques: le haut soubassement est constitué de moellons de pierre bleue; les angles sont consolidés à l'aide de pierres soigneusement équarries; au-dessus d'un ressaut, toujours en pierre bleue, s'élèvent des murs de briques; les baies, de forme ogivale, sont encadrées de pierre bleue; une frise de briques passe sous la corniche; la toiture, enfin, est couverte d'ardoise.

La façade est faite pour retenir plus longuement l'attention.
Sans atteindre le degré de sophistication de la façade monumentale de la chapelle du couvent des Dominicains, à l'entrée de la ville voisine de Braine-le-Comte, elle présente cependant tous les signes d'une construction plus élaborée. Un architecte a nécessairement été requis pour dessiner tout ce répertoire et tout ce jeu des pierres bleues. Pierre bleue et brique se mélangent avec une grande fantaisie mais tout en respectant cependant, ne serait-ce qu'à travers le principe de symétrie, la plus grande rigueur.
Nous entrons ici de plain-pied dans le domaine de l'esthétique baroque. Tout en présentant relativement peu de relief, la façade de la chapelle du marais Tilleriaux témoigne d'une grande liberté dans les tracés. L'ensemble de la façade évoque davantage des jeux de lignes limités à un seul plan (deux dimensions) qu'une réelle prise en compte de l'espace (à trois dimensions). A ce titre d'ailleurs, la façade se distingue fondamentalement de l'édifice sur lequel elle se trouve comme plaquée.
L'exemple d'autres édifices du même type et de la même époque montre qu'on pouvait simplifier à l'extrême l'aspect d'une telle façade. Par comparaison, on peut considérer que celle-ci se situe à un degré assez élevé d'élaboration sur l'échelle de la décoration. La chose est d'autant plus remarquable que ce bâtiment présente, en termes de surface utile, une importance plutôt faible. Il est vrai qu'il s'inscrit dans un contexte spatial à caractère ecclésial.

Le rez-de-chaussée évoque davantage l'héritage de la Renaissance que le baroque proprement dit. Les colonnes qui se trouvent de part et d'autre de la porte font penser à l'église du couvent des Dominicains de Braine--le-Comte. Le fronton bas qui domine cette même porte permet certains rapprochements avec les éléments de décoration qui se manifestent à la façade de l'hôtel de ville de cette même localité.
Des bandeaux horizontaux de pierre bleue découpent l'étage. Celui-ci se subdivise en deux niveaux: le premier, qui fait la transition entre le rez-de--
chaussée et le pignon proprement dit, est celui qui donne toute son allure de verticalité à l'édifice.
Ce "rehaussement" (évidemment prévu dans les plans de départ) se marque également dans l'élévation des murs gouttereaux.
La décoration de ce premier "étage" de la façade se compose d'un "oculus" agrémenté d'un encadrement assez fantaisiste et de deux ouvertures cintrées et symétriques.
Le deuxième niveau correspond au pignon proprement dit.
Sa découpe est plus complexe mais n'échappe pas aux graphismes habituels des concepteurs du temps : volutes et volutes inversées, croches et croches inversées, couronnement en forme de fronton cintré, petits obélisques.
La pierre découpée qui borde le pignon prend ainsi le relais des pierres disposées aux angles de la partie inférieure. La décoration du "panneau" du pignon reprend d'abord une niche du type de celles que l'on voit au niveau inférieur. Cette niche contenait, naguère encore, une représentation de saint Vincent et de ses deux fils. Elle est surmontée d'un nouvel oculus en pierre bleue.

On le voit, les formes à la mode en ce début du 17e siècle s'éloignent assez résolument de toute la tradition gothique.

Cette volonté de "modernisme" ne se retrouve pas à l'intérieur de la chapelle. Le répertoire baroque se cantonne donc au domaine des décorations de la façade. C'est la structure gothique qui règne en maître sous le couvsert du décor baroque. Le style de l'intérieur de la chapelle est plus sévère et davantage inspiré tantôt par les traditions du gothique tantôt par le répertoire des formes mises à la mode par la Renaissance.
Les boiseries qui décorent l'intérieur de la chapelle ont malheureusement souffert d'un trop long manque d'entretien. Elles sont cependant de grande valeur et on peut les rapprocher de celles qui décorent le chœur de l'église paroissiale Saint-Géry de Braine-le-Comte. On peut, d'un côté comme de l'autre, situer la réalisation dans la première moitié du 17e siècle.

La chapelle du "marais Tilleriaux" a été restaurée une première fois au début de ce siècle. Elle était alors entourée de quelques maisons de caractère modeste. Aujourd'hui, une nouvelle restauration est envisagée. Une première phase de consolidation du soubassement a dû être réalisée d'urgence.
   
La chapelle du Bon Dieu de Gembloux à la chaussée de Braine
Sentier Cuvelotte
  
 
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