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Les
soudarts del Pint'coût |
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C'est,
en général, au moment où le Tour
aborde le secteur des Carrières que l'on peut
entendre, aujourd'hui encore, sur une motte à
l'entrée de ce quartier, les détonations
de plusieurs coups de fusil. C'est ainsi que se présente
la dernière trace "matérielle"
des "saudarts del pintcoute
Les "soldats de la Pentecôte", définitivement
disparus peu après 1920, étaient issus
d'une très ancienne tradition. Ils sont attestés
à travers les documents d'archives dès
la seconde moitié du 15e siècle. L'atmosphère
troublée de cette période explique peut-être
l'importance de la place qu'ils tiennent à
ce moment. Dans leur genèse, les "saudarts"
sont indissociables d'une autre institution traditionnelle
connue sous le nom de "Jeunesse". Faisait
partie de la "Jeunesse" toute personne sortie
de l'enfance mais non mariée. La "Jeunesse"
est une sorte de préfiguration de la moderne
"adolescence".
L'institution de la "Jeunesse" avait plusieurs
fonctions à assurer : elle concrétisait
d'abord la nécessaire solidarité et
permettait la fréquentation réciproque
entre tous les "mariables" de la communauté.
De ce point de vue, elle constituait souvent le seul
"lieu" où les rencontres étaient
officiellement acceptées, voire encouragées.
La "Jeunesse" était l'organisatrice
des fêtes, des divertissements et des réjouissances.
Dans cette perspective, elle bénéficiait
bien souvent de l'aide financière des autorités
communales. La Jeunesse avait encore un rôle
de contrôle moral et se chargeait de l'organisation
des charivaris ou des expéditions punitives
contre les "Jeunesses" des communautés
voisines parfois accusées de voler les meilleurs
"partis" du lieu. Au 19e siècle,
la "Jeunesse" de Soignies allait encore
en découdre avec la "Jeunesse" de
Braine-le-Comte dans les bois qui séparaient
les deux localités. Tout naturellement, la
"Jeunesse" participe au Tour. A partir de
1450 même, elle y est présente sous une
forme officielle.
Les "Jeunes" miment, avec plus ou moins
de sérieux, une escorte militaire, Ils prennent
pour ce faire toutes les apparences d'un groupement
armé. lis mettent sur pied une hiérarchie
qui se compose notamment d'un "capitaine"
de la "Jeunesse" et de divers sergents.
lis préparent leur sortie du lundi de Pentecôte
par des exercices où la poudre est abondamment
utilisée pour faire grand bruit et grande fumée.
Ils portent un semblant d'uniforme et des insignes
inspirés ou "empruntés" à
une véritable armée en campagne.
Très tôt, ils sont "armés".
Mais pas de n'importe quelle manière. Ils ont
une prédilection marquée pour les armes
à feu. Et là se manifeste l'autre face
de leur comportement
car ils sont véritablement
des soldats en parade, et ce dans le sens le plus
élevé du terme.
Leur arme est surtout utilisée pour faire des
"bias feux", des "décharges
de mousqueterie". On peut encore parler à
ce propos de "cambes" (du mot "chambre"
qui désigne aussi la partie du canon où
la poudre est amenée à exploser).
"Tirer les campes" ou "les cambes"
(en fait : faire exploser la poudre des chambres)
se pratique toujours aujourd'hui à l'occasion
des mariages. Ainsi se perpétue une pratique
ancienne généralement associée
à toutes les manifestations de réjouissance
collective. C'est de cette manière que l'on
accueillait les souverains de passage; de cette manière
également que la "Jeunesse" annonçait
et célébrait les mariages ou soulignait
les grandes fêtes religieuses. Le "Feu"
(décharge collective) est également
une manière de jouer avec les nerfs du public.
Les enfants pleurent, les "grands" s'excitent
un peu. Plus il y a de bruit, plus il y a de fumée
et plus le "Feu" est réussi.
Nos "feux d'artifices" se situent bien dans
le droit fil de cette vieille tradition.
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Les marches militaires de l'Entre-Sambre-et-Meuse
ont conservé et développé ces
usages. Aujourd'hui, il s'agit presque toujours de
processions accompagnées d'une "Jeunesse"
déguisée en "garde napoléonienne".
On peut considérer ces marches comme relevant,
dans leur principe, de la même catégorie
que le Tour Saint-Vincent. Seule l'évolution
historique des deux derniers siècles a introduit
une distance plus nette entre le Tour Saint-Vincent
et des manifestations telles que la Madeleine de Jumet
(nous parlions plus haut de la "terre à
l'danse"), la marche Sainte-Rolende à
Gerpinnes mais aussi le cortège du quatrième
dimanche d'août à Ath ou certains épisodes
de la ducasse de Mons.
Pour sa participation au Grand Tour, la "Jeunesse"
de Soignies recevait de la bière pour ses réjouissances
ce qui n'a pas manqué de provoquer certains
abus.
Au milieu du 17e siècle, la "Jeunesse"
attend le Tour en haut du faubourg d'Enghien. L'interprétation
de ce comportement s'impose d'elle-même: il
s'agit autant de prendre en charge la protection des
châsses que d'accueillir saint Vincent au départ
du circuit qu'il doit effectuer autour de la franchise.
A la fin du Tour, la "Jeunesse" se rassemble
en "escadron rangé à double haye"
sur la Grand-Place et tire de spectaculaires décharges
de mousqueterie ("un applaudissement de diverses
salves d'arquebusades et de Mousquetades") au
moment où saint Vincent revient dans son église.
On ne peut manquer de rapprocher une telle cérémonie
du phénomène médiéval
(perpétué de diverses manières
aujourd'hui) des "Joyeuses Entrées".
Au 17e siècle, la "Jeunesse" accueillait
sans doute de la même manière les hôtes
de marque de la cité sonégienne.
On ne peut donc considérer la Jeunesse comme
le véritable service d'ordre ou le protecteur
attitré de la châsse et des pèlerins.
Elle en est plutôt un instrument d'amplification.
Dans le courant du 19e siècle, les "saudarts"
tendent à changer d'aspect. On préfère
désormais habiller les membres de l'"escorte"
avec de vrais costumes militaires plus ou moins dépareillés
ou simplement "passés de mode".
C'est pourquoi, dans maintes régions, profitant
du prestige historique qui y est attaché, les
uniformes napoléoniens prennent le dessus.
ils se maintiendront jusqu'aujourd'hui.
A Soignies, on verra notamment des lanciers et des
fantassins.
Autour de 1900, les "saudarts" éprouvent
des difficultés croissantes à s'intégrer
au Tour. Les autorités religieuses sont de
plus en plus réticentes. Et les subsides accordés
par l'administration communale semblent s'amenuiser
progressivement.
Les "Saudarts" se recrutent de plus en plus
dans les quartiers défavorisés de la
ville. Bien des membres de l'escouade ne semblent
guère partager les sentiments de vénération
que le catholicisme du 19e siècle encourage
spécialement. Souvent découragés
ou dépréciés, les "saudarts"
finissent par disparaître du Tour au moment
même où se développe la procession
historique.
A ce moment, les "Saudarts" issus de la
classe populaire et de la tradition paraissent incompatibles
avec les groupes costumés issus de la classe
bourgeoise et des livres d'histoire de la fin du 19e
siècle. Le "combat" est inégal.
Le dernier représentant des "saudarts"
participe seul aux deux ou trois tours qui suivent
directement la première guerre mondiale. Par
la suite, le Tour Saint-Vincent ne présentera
plus aucun indice permettant de le rattacher au vaste
phénomène des "marches militaires"
ou "processions armées" de l'Entre-Sambre-et-Meuse
et d'ailleurs.
L'idée connaît cependant une certaine
survie. Une légende tenace entretient le souvenir
des "saudarts". Il faut encore "mettre
son pied sur le même caillou que l'année
dernière". L'idée de faire un "bia
feu" n'est pas entièrement oubliée.
Les coups de fusil que l'on tire autour des carrières
au moment ou le Tour entre dans ce secteur sont la
trace la plus concrète de cette tradition pluriséculaire
à Soignies.
Bien plus, on peut voir dans les deux détachements
de "garde napoléonienne" qui ont
justement, et comme par hasard, leurs sièges
à Soignies-Carrières une résurgence
plus ou moins inconsciente des anciens "saudarts",
une sorte de nostalgie qui ignore son nom mais qui
a curieusement pour effet de faire réapparaître
les mêmes comportements aux mêmes endroits.
L'histoire de ces deux groupes de "marcheurs"
à la manière de l'Entre-Sambre-et-Meuse
remonte au début des années '70. Les
"saudarts" sont toujours là
même s'ils ne font plus partie de la procession
proprement dite, ni du Tour. Il leur arrive même
de défiler en ville quelques heures seulement
après le pèlerinage du lundi de la Pentecôte.
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